Sensibilité historique
La sensibilité historique est directement déterminée par le cycle technologique actuel et prévisible des industries et des services concernés. Elle fait partie des contraintes de toute direction de la communication et du marketing, dans chaque domaine sensible des activités] humaines.
Les exemples s’étendent à toutes les grandes catastrophes indus- trielles ou de services, quelles soient ponctuelles, comme une marée noire ou la contamination d’une nappe phréatique, ou qu’elles soient insidieuses, comme la disparition des algues rouges au large du Maroc sous l’effet d’une cueillette irresponsable, ou l’apparition d’algues indésirables au large de côtes bretonnes, sous l’effet d’une agriculture et d’une urbanisation non maîtrisées de façon responsable.
Dans chacun des cas, la politique de communication ne peut se contenter de son savoir-faire, d’un parler vrai ou de preuves de l’efficacité de la stratégie globale de l’entreprise. Il s’agit d’avoir le courage et la patience de surmonter le handicap que l’histoire nous lègue.
J’invite ceux qui seraient sceptiques par rapport à ces propos à aller expliquer en Hollande que l’Alsace est la région de France où les Verts sont les plus puissants et où les entreprises sont les plus respectueuses de l’environnement (ce qui est probablement vrai). Chez nos voisins nordiques, Alsace égale France, égale potasses, égale pollution de la poche de Lekkerkerk (embouchure du Rhin). Ce qui actuellement est largement faux, mais il n’en demeure pas moins que les responsables de la communication des entreprises concernées devront faire face à ce type d’association d’idées.
L’alternance technologique difficile
La possibilité d’alternance technologique est un facteur qui pèse dans les décisions de nos responsables industriels d’un poids inégal et qui détermine largement leur marge de manœuvre dans la stratégie verte.
On peut décider d’éliminer les gaz CFC, d’autant plus que les substitutions non polluantes se bousculent sur le marché.
EDF ne peut pas décider d’éliminer les centrales nucléaires dont les déchets seront encore là, quoi qu’il arrive, dans plusieurs générations. Les autoroutes, le tunnel sous la Manche, mais aussi le choix de tel ou tel combustible pour les voitures ou encore le choix d’un système de recyclage des déchets ménagers d’une ville comme Paris, sont des décisions qui pèseront de tout leur poids sur les générations à venir, sans pour autant que les décideurs en soient souvent conscients et en assument la responsabilité.
La sensibilité historique d’une entreprise est d’autant plus grande les décisions que prennent ses responsables pèsent d’un poids considérable sur l’évolution de l’environnement.
Sans l’exprimer nécessairement clairement, la communauté tout entière et notamment les groupes de pression et la presse sont sensibles à cet aspect et constitueront un contrepoids, dont une direction de la communication devra tenir compte.
La spécialisation des actifs
La spécialisation des actifs joue un rôle déterminant dans la sensibilité historique. L’ensemble de l’industrie lourde des anciens pays communistes en est une démonstration douloureuse.
Il s’agit aujourd’hui de choisir entre l’arrêt de milliers d’usines en Russie, en Ukraine, en Pologne, dans les Etats baltes, dans les Länder de l’ancienne RDA, avec le cortège de chômage et de misère qui s’ensuit, et la continuation d’une activité industrielle spécialisée qui a été conçue sans aucun égard pour l’environnement.
Si les études d’impact dans les pays de l’Union européenne ont pris une telle importance pour toutes les activités classées, c’est bien parce qu une conscience de responsabilité historique s’est développée et que personne, même parmi les responsables industriels, ne veut revoir le spectacle de régions biologiquement mortes, comme on en rencontre aujourd’hui en Allemagne orientale.
La responsabilité après-vente
La responsabilité du producteur ou du prestataire de service ne plus avec la vente de son produit ou de son service.
Le producteur de piles électriques Wonder se tient désormais responsable du caractère biodégradable de ses piles jetées, comme le pro- ucteur d’emballages Péchiney se tient responsable du recyclage biologique du PVC qu’il utilise, etc.
Lhistoire du produit, mais aussi des services, sera de plus en plus a*ialysée, pour vérifier qu’il s’intégre à terme dans l’écosystème. Si aujourd’hui cette exigence concerne encore essentiellement les produits manufacturés, il me paraît clair qu’il en ira demain de les services.
Le moment est venu où le journal du matin annoncera cornme argument de vente par rapport à ses concurrents, qu’il est imprimé s J du papier recyclé, en encre biodégradable et avec un procédé qui ne I peut en rien altérer l’environnement.
L’intégration stratégique
La sensibilité historique doit être intégrée dans la stratégie globale de l’entreprise, même si cela ne fait pas nécessairement la joie des actionnaires ou des dirigeants.
Telle PME fabriquant des transformateurs de moyenne tension ayant utilisé pendant des années le pyralène (qui produit, en cas d’incendie, de la dioxine hautement toxique) comme liquide isolant et utilisant désormais l’Ugilec T (qui est biodégradable) ne se retrouve pas moins responsable indirect d’un parc de 2 000 transformateurs dans le monde, qui sont un danger potentiel pour l’environnement.
Sa politique de communication devra tenir compte à la fois du danger quelle aura fait courir à ses clients, et de la nouvelle stratégie technologique qu’elle a désormais adoptée.
L’impact longue durée
Haussmann et Maurice de Sully ont ceci en commun qu’en contribuant — chacun à sa manière — à bâtir Paris, ils ont creusé les carrières qui sont actuellement les garants les plus sûrs de la ceinture verte autour de la capitale. Non parce que tel était leur objectif, mais parce que sur la surface des anciennes carrières, on ne peut que planter des arbres, faute de solidité du sous-sol…
Si les bâtisseurs des cathédrales et les perceurs des boulevards ont eu le droit d’ignorer l’heureux impact de leur activité sur l’environnement, il n’en est rien pour les responsables d’entreprise d’aujourd’hui.
L’affrontement quasi quotidien en Allemagne entre les industriels désireux de voir aboutir leur projet d’entreprise, et les groupes écologistes
j-nt des garanties à long terme sur la non-nocivité de leur acti- ffi^dievrait donner à réfléchir en France.
Tel directeur de l’environnement d’un groupe français de distribution d’eau m’a défini sa responsabilité comme celle de faire passer la notion de pureté de son métier au grand public.
C’est ignorer que traitement de l’eau implique la production de boues, dont le recyclage définitif sera tôt ou tard exigé par la communauté.
Nous en arrivons rapidement (l’Allemagne y étant déjà) à la situation où le producteur de biens ou de services ne doit plus seulement répondre de la qualité de ce qu’il produit, mais en plus du sort des déchets que ses produits ou ses services généreront.
Assumer cette responsabilité est encore difficile pour la plupart des chefs d’entreprise qui nous entourent. Et pourtant, la pression de l’opinion publique, suivie de celle du législateur, les y obligent. Il est temps qu’ils apprennent.
Le score final de l’analyse de la sensibilité historique donne une indication sur l’importance de la dimension temps – tant pour le passé que pour l’avenir – dans les décisions à prendre et, par conséquent, sur la façon d’orienter sa politique d’explication et de communication.
Être capable de prévoir et d’expliquer l’avenir du site de Creys-Malville d ici l’an 2200 ou de présenter le cycle complet des nitrates sur une période de deux cents ans ne relève plus du rôle de futurologues, dont les anticipations sont écoutées avec un sourire indulgent.
Anticiper, prendre ses responsabilités et expliquer le très long terme devient dans la plupart des secteurs économiques une tâche essentielle du management.
Vidéo : Sensibilité historique
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