Sensibilité médiatique
L’entreprise, pas plus que tout autre corps social constitué, n’échappe à la médiatisation permanente, à laquelle toute activité économique et sociale est soumise. Que le responsable ou le cadre supérieur y prenne goût comme un Bernard Tapie, ou qu’il fuie la médiatisation comme
un François Michelin, ne change rien à cette donnée fondamentale de ce XXIe siècle naissant.
Communiquer, convaincre, expliquer est devenu aussi important que faire, produire, réaliser. En cela, chaque secteur, chaque entreprise est plus ou moins sensible à l’influence des médias. Ses moyens, sa politique et sa stratégie de communication doivent s’ajuster en conséquence.
Sensibilité aux médias-presse
Historiquement, les secteurs industriels de la pétrochimie, de la chimie, du nucléaire, du pharmaceutique, le transport pétrolier, les mines, la métallurgie lourde, l’agro-industrie et le textile ont provoqué le soupçon des médias grand public.
Ce soupçon pèse d’autant plus lourd que certains d’entre eux, dans un effort souvent maladroit de relations publiques, se sont évertués à se peindre en vert, en niant les aspects potentiellement dangereux et nuisibles à l’environnement. Une telle politique de relations publiques s’avère toujours, à moyen ou à long terme, plus dangereuse que l’absence de politique tout court.
De cette situation historique résulte dans plusieurs secteurs industriels une sensibilité médiatique, qui demanderait un parler vrai et un effort de communication et d’information interne et externe encore largement au-dessus des moyens de la plupart des responsables des secteurs sensibles.
| La filière nucléaire, à l’exception remarquable d’EDF, est certainement la lanterne rouge dans ce cortège.
Les entreprises dont l’activité a un impact direct ou indirect sur 1 environnement, au-delà de leur seul périmètre géographique et économique, devront enfin apprendre à vivre avec les médias-presse.
Les consultants en communication ont encore de beaux jours devant eux…
Groupes de pression
Il y a des caractéristiques communes entre les groupes structurés ou non s’opposant à telle implantation industrielle, à telle implantation
touristique, à tel barrage EDF, à tel tracé du TGV, etc. Généralement! (à l’exception probable des tracés TGV), il s’agit de mouvements aniJ més par des personnes étant matériellement désintéressées et organJ sées sur la base du volontariat.
Comme pour tout mouvement où l’argent ne peut, a priori, pas être! le facteur de départage des adhérents, c’est le pouvoir interne qui est ! devenu l’enjeu des mouvements écologiques, chez nos voisins comme en France.
Ainsi s’ajoute à la difficulté de communication, sur une base de langage commun entre entreprises et groupes de pression, la difficulté d’une surenchère entre mouvements tenants d’une politique écologique de l’environnement et les tenants d’un refus tout court de toute politique.
Le responsable d’entreprise, par son comportement et par ses réactions, contribue à renforcer les rangs des uns ou des autres, selon qu’il comprend ou non les bases psychologiques – individuelles et hautement respectables — de ceux qui constituent ces groupes.
Au cœur de l’opposition à l’entreprise se trouvent toujours trois types de motivations :
– l’angoisse devant ce que l’on ne peut maîtriser
– la nostalgie d’un « avant » généralement mal connu donc mythifié
– le sentiment d’appartenir à une cause commune d’hostilité contre
l’Autre, contre l’intrus identifié comme l’Ennemi
Le groupe de pression tient sa légitimité et souvent même son existence de cette opposition à l’Ennemi identifié. Ses membres se sentent par conséquent le droit, sinon le devoir, de ne jamais proposer ou de chercher des solutions alternatives ou des compromis : une telle recherche les compromettrait, au sens littéral et symbolique du terme.
Les responsables d’entreprise ont, par rapport à ce phénomène, un peu partout en Europe, des réactions qui démontrent un manque de réflexion, sinon de responsabilité. Qu’ils soient salariés ou propriétaires de leur entreprise, ils se trouvent en face d’antagonistes dont ni les moyens, ni les besoins ne visent un gain matériel personnel ou collectif. Paradoxalement, ils se sentiront plus à l’aise devant les contestataires d’un tracé d’autoroute ou de TGV, sachant que tôt ou tard, i* s’agira de négocier des compensations financières, situation qu ils connaissent et comprennent.
1 Mais comment négocier avec des idéalistes ?
PuAïondre à l’angoisse devant ce que l’on ne maîtrise pas par une démonstration de sa propre maîtrise est une réaction compréhensible
commune à tous les experts. Mais c’est aussi démontrer que ceux tituent les groupes de pression sont des incapables.
certainement pas vrai, lorsqu’il s’agit de tel ou tel éminent spécialiste de l’environnement, de la faune et de la flore et ce qui n’est surtout pas la meilleure façon d’entamer le dialogue.
À la nostalgie d’un « avant » mythique des groupes de pression répond souvent de la part des responsables d’entreprise un raisonnement rigoureusement cartésien, ayant comme résultat de situer l’entreprise par rapport aux groupes de pression comme sur deux planètes éloignées l’une de l’autre de quelques années-lumière. Le sentiment que l’Autre, l’Ennemi, l’intrus existe, ne peut qu’être renforcé par des réponses de rationalisation face à des angoisses et à des nostalgies qui ont leur propre rationalité.
La sensibilité médiatique demande de la part des chefs d’entreprise une compréhension et un sens de la communication qui soient fondés non seulement sur le rationnel, mais surtout sur la sensibilité aux émotions et aux convictions, ce à quoi ils sont rarement formés.
Courants idéologiques
Le lancement avorté de la pilule du lendemain est l’exemple type d une sensibilité médiatique qu’une entreprise n’a pas su comprendre.
Lenvironnement, c’est aussi l’idée que s’en font les groupes et les personnes ayant le pouvoir de l’imposer, ou du moins de la faire connaître.
La question nest pas ici de condamner ou d’approuver cette application des biotechnologies. Il s’agit de savoir pourquoi le même groupe qui s est donné les moyens et les cerveaux pour participer à la percée des secrets des combinaisons ADN du génome humain, a été incapable dappréhender, de prévoir et d’intégrer les facteurs idéologiques dans un domaine aussi sensible que la fécondation humaine.
Que ce soit la fécondation humaine, la culture in vitro, ou l’expérimentation avec des animaux transgéniques, il est clair que l’idéologie y J°ue un rôle déterminant dans la sensibilité médiatique, et que nos entreprises ont beaucoup de mal à assumer cette réalité.
Courants sociaux
Il faut avoir été responsable d‘une PME de province qui fait vivj l’ensemble d’un village, pour être pleinement conscient de la sensibijn té de l’entreprise aux courants sociaux.
L’entreprise, en effet, n’y est pas seulement un employeur, elle est l’uJ des centres les plus importants de la vie économique et sociale. Ses responsables, en toute logique, sont appelés à prendre des responsabilités sociales et politiques, que ce soit au niveau local, régional ou national. 1
En cela, ils ou elles ressemblent en tout point à leurs collègues américains que j’ai pu rencontrer dans le Middle West, au Texas, au Michigan, en Illinois, etc. À la différence près qu’aux États-Unis, ces entreprises locales appartiennent le plus souvent à des propriétaires, familles locales ou multinationales, ayant une conscience aiguë de la sensibilité médiatique à travers les courants sociaux locaux, et encourageant leurs responsables à prendre activement part au débat politique.
Nos grands groupes industriels et nos sociétés de services ont à apprendre, à la fois des PME-PMI françaises et de leurs homologues et concurrents américains, comment assumer leur rôle social. Si la démocratie — on l’espère — ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise, l’appel aux compétences des citoyens responsables qui la constituent ne s’y arrête pas non plus.
Cette évidence semble avoir été comprise, au niveau des groupes industriels français, davantage par les représentants syndicaux que par les responsables de la direction. Dans le débat permanent sur l’environnement qui est imminent et indispensable en France, il serait utile que les responsables des organismes patronaux se manifestent de façon plus professionnelle, plus permanente et plus massive.
Communication externe
La sensibilité médiatique de l’entreprise est également fonction de sa qualité de communication externe.
Michelin est un cas d’école de la solidité par rapport à la sensibilité médiatique grâce à sa stratégie de communication externe.
A première vue, le groupe Michelin pourrait être considéré comme très fragile sur les échelles de jugement de la sensibilité médiatique. La
la stratégie verte en comunication et marketing
Btété fermée de Clermont-Ferrand, l’emprise de la famille, les secrets Je fabrication, un système social interne très fermé : tout concourt à clas- r |e groupe Michelin comme sensible au niveau de l’échelle médiatique.
Mais qui ne connaît pas, à travers le monde, Bibendum, qui n’a pas inj son bureau, à la maison ou dans sa voiture un guide Michelin, une carte Michelin ?
Le groupe Michelin est peut-être sous réserve d’inventaire sensible aux courants sociaux, mais il est incontestablement champion dans la communication externe et, de ce fait, relativement peu sensible au niveau médiatique…
Le score obtenu dans ce diagnostic donnera aux responsables de marketing et de communication une indication sur le poids relatif de l’exposition de leur entreprise par rapport aux médias et, par conséquent, sur la stratégie à adopter.
Celle-ci devra se concrétiser en fonction de l’importance de chacun des critères énoncés et s’intégrer dans une stratégie générale de communication.