La stratégie verte en ressources humaines
La jeunesse de la prise en charge de la responsabilité de l’environnement par l’entreprise ne peut qu’aboutir à une situation confuse, lorsqu’il s’agit de définir une politique et, a fortiori, une stratégie verte des ressources humaines.
Si l’on accepte d’entendre par ressources humaines les hommes et les structures dans lesquelles ils et elles exercent leur métier et les relations qu’ils ou elles établissent entre eux, il s’agira de mieux définir, dans ce chapitre, les fonctions et activités suivantes :
– la formation et l’information
– la structure de la fonction
– l’organisation du travail
– la sélection et l’évaluation
Comme pour les autres métiers de l’entreprise, je proposerai pour chacune de ces fonctions une grille de diagnostic que je commenterai en fonction des enquêtes et des expériences que mes collègues et moi- même avons pu réunir et je terminerai avec un exemple d’autodia- gnostic, suivi de la mise au point d’un début de stratégie verte.
Avec le métier recherche-développement, celui des ressources humaines partage peut-être encore plus que la recherche-développement le redoutable privilège, en matière de stratégie verte, de n’offrir pratiquement aucun point de repère au responsable d entreprise.
- En matière de communication et de marketing, il y a le consommateur et l’opinion publique, appuyés par le législateur, qui donnent au professionnel au moins une direction et quelques indications sur la politique à suivre.
- En matière de processus de transformation, il y a le législateur et l’ensemble des règlements et directives qui donnent au professionnel une base, même si elle est parfois contradictoire, à partir de laquelle il peut bâtir sa stratégie.
- En matière de responsabilités juridiques et financières, les repères changent certes rapidement et de véritables expériences, notamment en comptabilité verte, existent, même si elles ne sont pas encore concluantes, et s’il faut les chercher pour la plupart en dehors du cadre national.
En matière de stratégie verte des ressources humaines – le domaine où les besoins sont probablement les plus importants, selon les résultats des sondages et des recherches menés dans les grands groupes et certaines PME-PMI sensibilisées à la gestion de l’environnement – une véritable stratégie reste à bâtir et à consolider.
Je me permettrai, pour chacun des aspects de la stratégie verte des ressources humaines, de prendre des positions personnelles, fondées sur une certaine expérience en la matière, mais aussi sur des observations depuis plus de vingt ans de l’intérieur de l’entreprise — industrielle essentiellement – qui ne sont pas nécessairement partagées par tous les experts.
Ainsi, j’estime que les programmes de formation aux problèmes de l’environnement pour cadres d’entreprise n’existent pas encore, à quelques rares tentatives près. Je suis contre la prolifération des masters et autres spécialisations universitaires de l’environnement, ayant comme objectif avoué de former des écologues qui ne sont ni ingénieurs, ni spécialistes des sciences de la vie, ni spécialistes de l’un des métiers de l’entreprise.
L’offre de formation permanente, dans le sens d’une culture environnement, que le responsable d’entreprise pourra ensuite intégrer dans sa pratique quotidienne, n’existe pratiquement pas sur le marché. De même, l’organisation du travail d’une fonction environnement reste encore des plus floues, comme la définition des fonctions d’une direction environnement.
Par conséquent, il semble logique que les critères de sélection pour le choix d’un responsable environnement soient très disparates d’une entreprise ou groupe industriel à l’autre, et que les critères d’évaluation (comme d’ailleurs les critères de sanction ou de rémunération) soient pratiquement inexistants.
Les grilles de diagnostic ou d’autodiagnostic, qui pourront servir de base à la mise en place d’une stratégie verte en ressources humaines, ont été bâties sur les critères classiques en matière de gestion des ressources humaines et concernent les quatre fonctions citées ci-dessus.
Formation et information:Vous avez un budget de formation à l’environnement
La formation à la solution des problèmes que notre activité économique pose à l’environnement était jusqu’à tout récemment quasi inexistante, dans nos écoles d’ingénieurs comme dans nos écoles de gestion.
Le résultat est que la génération de cadres et de responsables actuels de nos entreprises n’a jamais reçu de formation à la gestion de l’environnement et que ses représentants seraient d’ailleurs bien en peine d’en trouver une sur le marché de la formation permanente. La responsabilité de formation des groupes industriels n’en est que plus importante, en attendant que la prise de conscience et la professionnalisation indispensables prennent la relève au niveau du système d’éducation des futurs cadres.
Par formation, j’entends l’action pédagogique qui vise à changer les comportements et les décisions et non l’information sur tel ou tel aspect de l’écosystème. La confusion est encore générale dans ce domaine.
Tel groupe industriel, l’un des leaders de la fabrication de transformateurs de moyenne et haute tension, organise des sessions de formation de ses ingénieurs de production et de recherche-développement, pendant lesquelles les meilleurs spécialistes analysent le décalage entre la France et l’Allemagne en matière de traitement du pyralène des transformateurs désaffectés, ce qui est bien en soi. Mais comme personne ne les a formés à avoir un réflexe environnement, leurs ateliers et leurs bancs d’essai continuent de rejeter des effluents pollués dans la rivière et des fumées non traitées dans l’air, problèmes que de simples dispositifs de filtrage et de recyclage maison pourraient résoudre en l’espace d’une semaine….
Tel autre groupe, fabricant de détergents, a fondé sa campagne de promotion sur l’aspect biodégradable de ses produits et a sensibilisé ses représentants à l’environnement, ce qui n’est pas négligeable, mais en même temps des fûts désaffectés de matière première déclassée finissent leur existence ou plutôt ne cessent de la finir sur un terrain vague à côté de l’une de ses usines en attendant que quelqu’un prenne l’initiative de décider d’un mode de recyclage, au demeurant facile à mettre en œuvre. Faut-il encore que ce quelqu’un ait été formé au réflexe environnement.
Vous avez un programme d’information sur l’écosysteme
Sans avoir l’ambition de former des responsables dans toute l’industrie et dans tous les services, qui soient conscients de l’enjeu que constitue leur travail sur l’écosystème — à savoir changer les comportements et induire un réflexe environnement — on pourrait au moins envisager la
généralisation des programmes d’information, sinon des notices tech- niques.
Dans ce domaine, les fournisseurs d’installations industrielles, de mach ines-outils, de produits de consommation industriels mais aussi de produits de grande consommation, ont en France un retard considérable par rapport à nos voisins du nord de l’Unnm européenne.
Si l’on peut comprendre qu’un patron de PME-PMI ne peut pas se permettre, pour des raisons budgétaires, de monter un programme d’information sur l’écosystème à l’intention de ses cadres et de ses salariés, on comprend beaucoup moins que ses fournisseurs n’incluent pas, dans leurs notices techniques, des recommandations et des modes d’emploi qui tiennent compte de l’impact sur l’environnement.
Une rapide enquête non représentative auprès de vingt fournisseurs de produits consommables pour le traitement de surface m’a confirmé qu’un seul fournisseur, filiale d’un groupe suisse, indique dans sa notice technique quelles sont les incidences que pourrait avoir le produit sur l’environnement et quels sont les modes de stockage, d’utilisation optimale et de recyclage recommandés, en vue de respecter l’environnement au maximum.
Vous formez vos collaborateurs a la responsabilité environnement
Le manque de réflexe environnement des responsables actuels de l’industrie française est particulièrement frappant dans ce domaine.
À travers le CHS du comité d’entreprise, à travers la taxe de la formation professionnelle, le dispositif légal est en place pour qu’une formation et une sensibilisation à la responsabilité pour l’environnement puissent s organiser, sans s’ajouter ni aux frais, ni aux structures de l’entreprise.
Il suffit de faire toucher du doigt, à travers des cours d’information, de formation ou à travers des cercles d’environnement les problèmes qu engendre une inconscience généralisée de l’environnement, pour qu une amélioration spectaculaire puisse quelquefois s’opérer avec des moyens des plus modestes.
Telle entreprise d’injection plastique spécialisée dans les casiers de bouteilles avait organisé, pour l’ensemble des manutentionnaires et personnels du magasin, un séminaire d’analyse des incendies les plus spectaculaires dans la branche.
Il en est résulté une décision modeste, mais fondamentale en cm d’incendie : établir des véritables couloirs coupe-feu et rendre responsable l’ensemble des collaborateurs du respect des dimensions et de l’encombrement de ces couloirs.
L’environnement, ce n’est certainement pas que la contestation du tracé du prochain TGV, c’est un comportement, une responsabilité et donc une formation permanente.
Vous informez vos collaborateurs sur les incidents environnement de l’entreprise
Le manque d’information des collaborateurs, à la fois sur les risques que fait courir inévitablement l’activité de l’entreprise à l’environnement, sur les mesures prises pour les limiter, mais aussi sur les incidents qui ont eu lieu et qui ont été maîtrisés grâce aux systèmes de contrôle et de surveillance, est souvent source de fantasmes. Ceux-ci sont d’autant moins contrôlables qu’ils sont véhiculés par les collaborateurs eux-mêmes.
Une comparaison s’impose ici entre le contrôle comptable et financier d’une part, et le contrôle des processus et des incidents environnement d’autre part.
Telle entreprise, spécialisée dans les gaz industriels, mettra volontiers en avant, dans sa politique de communication interne comme dans son rapport annuel, qu’elle a comme expert-comptable l’un des grands cabinets anglo-saxons. Qu elle ait comme fournisseur et contrôleur de dérapages de production possibles l’une des deux sociétés qui sont reconnues comme leaders mondiaux de la mesure des gaz polluants et pour la gestion des fumées (en l’occurrence, deux entreprises françaises) ne viendra encore que rarement à l’esprit de ses dirigeants.
11 semble pourtant évident, dans la mesure où la gestion de l’environnement sort de sa clandestinité honteuse, que pour les collaborateurs, le fait de savoir que les processus, qu’ils savent potentiellement dangereux, sont contrôlés par les meilleurs spécialistes du monde, devrait être au moins aussi rassurant que de savoir que le contrôle financier est entre de bonnes mains. Mais ceci suppose que les dirigeants aient le courage de parler vrai, y compris sur les problèmes inévitables des risques de pollution.
Croupes de travail du type cercles d’environnement
pans nos industries traditionnelles européennes, aussi longtemps que l’on a estimé qu’un prix de revient était la conséquence logique et fatale de la conception du produit par l’ingénieur, on s’est fait battre sur les prix par nos concurrents du Sud-Est asiatique et d’outre-Atlan- tique, japonais et américains. Ce n’est que lorsqu’on a commencé à adopter les méthodes de groupes multi-disciplinaires d’analyse de la valeur que l’on a réussi, en peu d’années, à se hisser à leur niveau.
De même, aussi longtemps qu’on a estimé que la qualité était chose trop sérieuse pour ne pas la confier à une équipe hautement spécialisée, en bout de chaîne, sanctionnant le travail des OS ignares, on a produit une qualité médiocre. Ce n’est qu’en adoptant la méthode interdisciplinaire des cercles de qualité qu’on a pu se hisser au niveau de nos concurrents japonais.
L’environnement relève exactement de la même problématique que le prix de revient ou la qualité : aussi longtemps que l’on estimera qu’il s’agit d’une spécialité pour professionnels, on restera à la traîne de nos amis hollandais, allemands ou scandinaves.
À l’instar des groupes d’analyse de la valeur, des groupes de créativité ou des cercles de qualité, les cercles d’environnement sont des groupes de travail de sept à douze membres maximum. Ils sont sélectionnés sans distinction hiérarchique de façon à ce que soient représentées les compétences commerciales de production, de gestion, de recherche- développement et juridiques.
Des membres extérieurs à l’entreprise peuvent y participer : pour un cercle d’environnement au sein d’une entreprise à vocation d’aménageur (Télécom, Sari, EDF, SNCE etc.), il serait logique d’y intégrer si possible un représentant de la DRIRE, un responsable local ou régional des permissions de construire, etc.
Outre la diversité et la représentativité des compétences, on sélectionnera avant tout des gens motivés par l’environnement et par le travail en groupe.
Le groupe de travail reçoit une formation de deux jours en séminaire interne, comprenant deux aspects principaux : l’aspect dynamique de groupe (techniques de créativité, communication interne, communication externe) et l’aspect technique et informatif (historique du secteur économique de l’entreprise, impact de son activité sur l’environnement, aperçu des problèmes et des solutions alternatives).
Le cercle d’environnement est constitué pour une durée de quatre à douze mois. Il alterne des sessions de travail en groupe (de l’ordre de trois heures par quinzaine) avec des tâches individuelles de développement et d’approfondissement d’idées. Le rythme de travail et la durée du cercle sont calculés de façon à garantir le sérieux des solutions, mais à éviter la constitution d’une structure figée, qui deviendrait soi- disant chargée de l’environnement. Les membres du cercle d’environnement sont remplacés, au bout d’un certain temps, par d’autres de façon à créer une véritable dynamique environnementale dans l’entreprise.
La tâche du cercle d’environnement est de proposer à la direction des ressources naturelles – ou au responsable fonctionnel de l’environnement – des solutions techniquement réalisables, économiquement réalistes, juridiquement justifiées et commercialement avantageuses à des problèmes qui concernent la responsabilité de l’entreprise par rapport à l’environnement. Ces problèmes sont sélectionnés en partie par le cercle d’environnement lui-même, en partie par les directions des différents métiers de l’entreprise, suite à un diagnostic vert.
Le cercle d’environnement est confié à un animateur (interne ou externe), ayant une formation et/ou une expérience de dynamique de groupe, une bonne culture technique et technologique, une connaissance de la vie de l’entreprise et le sens de la communication. Celui-ci dispose d’un budget (temps et dépenses) pour lui-même et pour les membres du cercle dont il est responsable devant la direction des ressources naturelles.
Le cercle d’environnement établit alors un cahier des charges des solutions aux problèmes qu’il traite. La responsabilité de la décision d’application et de sa mise en œuvre revient à chaque direction opérationnelle de l’entreprise.
La réussite d’un cercle d’environnement se mesure à la fois par l’impact qualitatif sur l’environnement et quantitatif sur les coûts de l’entreprise. En combinant techniques de créativité et d’analyse de la valeur, de telles réussites sont pratiquement toujours à la portée du cercle d’environnement. Ceci dément le mythe tenace selon lequel l’environnement coûte cher : il est, en effet, possible de faire des économies et de mieux s’intégrer dans l’environnement.
Les cercles d environnement que j ai pu animer personnellement, dans différents secteurs de l’industrie, m’ont toujours impressionné par leur double efficacité :
. les solutions réalistes apportées aux problèmes posés aux groupes ;
. le changement de comportement et de sens des responsabilité des membres du cercle.
Dans nos enquêtes et entretiens, la préoccupation d’une formation à l’environnement d’une part, et celle du coût de l’environnement d’autre part, sont toujours mises en avant par les dirigeants. À condition de ne pas confondre information (acquisition de connaissances) et formation (changement de comportement) et de ne pas couper la formation à l’environnement de l’action et de la réalité de l’entreprise, il est parfaitement possible de concilier les objectifs d’économie et d’écologie dans l’entreprise.
Vidéo : La stratégie verte en ressources humaines
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : La stratégie verte en ressources humaines